[p. 115]
Il y a certains schémas rhétoriques qui reviennent sans
cesse dans les Dialogues: plus que des thèmes, on dirait
plutôt des tropes ou des refrains, d'autant plus qu'ils ont une fonction
proprement rituelle qui tient de leur nature obsessionnelle. Par exemple,
les quarante ans d'estime publique (évoqués non moins de
seize fois dans les Les Dialogues), qui ayant précédé
les crimes imputés à Jean-Jacques, les démentissent.
Autre exemple évident, le procès: l'inculpé, les accusateurs,
le juge parfait, etc.
Le plus prépondérant est sans doute la ligu de surveillance qui assiège Jean-Jacques. Mais ce n'est pas, il convient de le rappeler, la première fois qu'il l'évoque. « J'étais entouré, surveillé; la France envoyait des espions pour me guetter, des soldats pour m'enlever, des brigands pour m'assassiner; il était même imprudent de sortir de ma maison »: il s'agit ici des Lettres de la montagne(1), où comme on voit tout le complot néfaste de Rousseau juge de Jean-Jacques est déjà en place. La méthode aura changé: dix ans plus tard il n'est plus question d'assassinat, ce n'est plus la peine: une contrainte encore plus parfaite est réalisée sans brigands ni soldats, puisque la surveillance elle-même, étant beaucoup plus compréhensive et poursuivie avec un acharnement indescriptible, tient lieu de tout.
Désormais Jean-Jacques est « investi de toutes parts, gardé à vue » (841); rien n'échappe à ses persécuteurs. « On l'observe, on l'épie avec le plus grand soin [...]. On veille exactement à tout ce qui l'entoure, à tout ce qui l'approche, à quiconque lui dit un seul mot » (885). On retrouve un peu partout, comme dans ce passage, une constellation de mots-clefs ayant en commun un certain contenu sémique, et qui s'empilent pour se renforcer: observer, surveiller, veiller, observer, épier, guetter, etc. Jean-Jacques « se sent entravé dans mille pièges, entouré d'espions, de mouches, de surveillants »; il « sait ne pas dire un mot qui ne soit recueilli, ne pas faire un mouvement qui ne soit [p. 116] noté » (910).(2)
Ces espions, mouches, surveillants ont deux missions distinctes, qui
correspondent à des buts différents et complémentaires.
D'une part on recueille des preuves de la méchanceté, de
l'hypocrisie de Jean-Jacques qu'on ira répandre dans le public afin
de créer autour de lui l'« horreur universelle » (706);
l'intervention qui correspond à cet aspect de la surveillance, c'est
donc la diffamation: elle vise à effrayer tous les gens de
bien et ainsi à éloigner de lui tout secours éventuel.
D'autre part on le cerne, on l'« enlace » (706) afin de neutraliser
toute action de sa part; la forme de l'intervention ici est l'interdiction:
on le met « hors d'état [...] de suivre ses projets exécrables
et de faire aucun mal dans la société » (703-704) et
le mot-clef est empêcher. Ces deux fonctions (diffamer, empêcher)
sont sans ordre de priorité et dans la pratique évidemment
se confondent:
Tout ce qu'on peut donc faire pour la sureté publique est premièrement de le surveiller si bien qu'il n'entreprenne rien qu'on ne le sache, qu'il n'exécute rien d'important qu'on ne le veuille, et sur le reste d'avertir tout le monde du danger qu'il y a d'écouter et fréquenter un pareil scélérat. (724, italiques ajoutées)
On a constamment affaire à la combinaison de ces deux activités
parallèles; si « on prend des mesures extraordinaires pour
l'empêcher de parler » (731) c'est pour éviter que ne
soient déjoués les efforts des mêmes conspirateurs
pour « le rendre autant qu'il est possible odieux, méprisable,
exécrable à tout le monde » (700). Jean-Jacques, qui
par réaction n'a plus d'autre projet que de « confondre et
démasquer les imposteurs qui le diffament » (840), se voit
privé de tout moyen pour y parvenir.
Ainsi, la ligue refuse à sa victime tout accès au tribunal
de l'opinion publique: tant est assidu leur espionnage, et tant est étanche
le cordon sanitaire noué autour d'elle, qu'aucune défense
n'est possible, nulle justice ne peut être obtenue. Ils le surveillent
« à tel point qu'il ne puisse dire un mot qui ne soit écrit,
ni faire un pas qui ne soit marqué, ni former un projet qu'on ne
pénètre à l'instant qu'il est conçu »
(706). Ils ont pour ainsi dire des micros dans chaque meuble, dans chaque
pan de mur, mais par-dessus tout c'est moins les voix qu'ils redoutent
que l'instrument sourd et autrement éloquent: la plume. «
On craint surtout le poison de sa plume et l'on n'épargne aucune
précaution pour l'empêcher de l'exhaler; on ne lui laisse
aucun moyen de défendre son honneur, parce que cela lui serait inutile
» (716). On draine ses encriers; Jean-Jacques [p. 117] se joue d'eux:
Malgré toutes ces précautions le drôle est encore parvenu à écrire ses mémoires qu'il appelle ses confessions et que nous appelons ses mensonges: avec de l'encre de la Chine, à laquelle on n'avait pas songé: mais si l'on ne peut l'empêcher de barbouiller du papier à son aise, on l'empêche au moins de faire circuler son venin [...] (717)
Face à cet adversaire espiègle les conspirateurs n'ont
d'autre solution que de serrer davantage l'étau autour de lui. (A
propos, ce passage illustre un trait peu connu de Rousseau, à savoir
l'esprit. Peu d'écrivains ont eu plus que lui la réputation
tenace d'ignorer l'art de rire, peut-être même de sourire,
et les Dialogues en particulier ne passeront jamais dans les annales
de l'humour. On se souvient que son némésis, le rieur consommé
qu'était Voltaire, le rapprochait de Diogène pour cette raison.
Mais il y a néanmoins pas mal de passages amusants chez Rousseau,
presque toujours sur un ton sardonique, comme ici.)
Cependant, comme cette surveillance veut rester indécelable même
à sa victime dont la vie est donc censé lui paraître
si possible normale, on lui accorde deux aménités qui peuvent
paraître inattendues. La première, c'est les plaisirs; entrave
n'est pas privation:
[C]'est là surtout ce qu'il y a de grand, de généreux, d'admirable dans le plan de nos messieurs qu'en l'empêchant de suivre ses volontés et d'accomplir ses mauvais desseins, on cherche cependant à lui procurer les douceurs de la vie, de façon qu'il trouve partout ce qui lui est nécessaire et nulle part ce dont il peut abuser. (716)
La seconde est plus insidieuse encore, c'est la liberté.
Ou plutôt l'illusion de la liberté; c'est justement par là
que le complot atteint son point le plus diabolique: « En poussant
la bonté jusqu'à lui laisser une liberté du moins
apparente, ne fallait-il pas l'empêcher d'en pouvoir abuser? »
(709-710). On la donne et on la borne à la fois ou, comme dit le
Français, on « empêche » Jean-Jacques «
d'abuser par des pratiques pernicieuses de la liberté qu'on voulait
lui laisser » (706). Le paradoxe est complet: Jean-Jacques ne voit,
n'entend rien alors qu'il est complètement entouré: il est
« chargé de chaînes dont il ne [peut] ni montrer ni
voir le moindre vestige. Ils ont élevé autour de lui des
murs de ténèbres impénétrables à ses
regards; ils l'ont enterré vif parmi les vivants. Voilà peut-être
la plus singulière, la plus étonnante entreprise qui jamais
ait été faite » (706). Un mur de ténèbres:
quelle image étonnante, et quelle négation plus parfaite
de la célèbre « transparence » rousseauiste pourrait
être rêvée?
Or une liberté si parfaitement cernée, ce contrôle
si secret qu'il n'y paraît pas, a un antécédant notoire
dans l'œuvre de Jean-Jacques Rousseau: c'est justement la situation d'Émile
par rapport à son gouverneur. Peut-être y a-t-il entre ces
deux ouvrages une liaison plus intime qu'on n'est accoumé à
le penser. Voyons:
[E]n naissant l'enfant est déjà disciple, [p. 118] non du gouverneur, mais de la nature. Le gouverneur ne fait qu'étudier sous ce premier maître et empêcher que ses soins ne soient contrariés. Il veille le nourrisson, il l'observe, il le suit; il épie avec vigilance la première lueur de son faible entendement [...]. (Émile 279)
On retrouve les mêmes vocables qu'on vient de repérer
dans les Dialogues: étudier, observer, veiller, épier...
empêcher. N'y a-t-il pas, quand on y pense, une étrange
analogie entre l'infaillible surveillance pratiquée par la ligue
au sujet de Jean-Jacques et l'inlassable perspicacité mise en œuvre
par le gouverneur d'Émile? La maladresse des uns qui les trahirait
aux yeux du public et alerterait leur victime est l'exact équivalent
de l'erreur fatale où tomberait incessamment le gouverneur s'il
défaillait dans l'observation de son élève. Si elle
n'est pas commise -- si le gouverneur ne gâte pas tout dans cette
fragile entreprise, si la ligue est d'une efficacité envahissante
-- c'est dans les deux cas grâce au fait qu'un tel degré à
la fois de ténacité et de pénétration est reconnu
comme possible. La réussite, même si là les
intententions sont bénévoles et ici méchantes, relève
de la même prémisse qui est le regard omniprésent,
« l'œil vivant » pour utiliser l'expression bien connu de Wolmar:
Si j'ai quelque passion dominante c'est celle de l'observation: j'aime à lire dans les cœurs des hommes; comme le mien me fait peu d'illusion, que j'observe de sang froid et sans intérêt, et qu'une longue expérience m'a donné de la sagacité, je ne me trompe guère dans mes jugements [...]. (Julie 491)
Toute la valeur de l'Émile était en effet misée
dès la préface sur l'assurance que l'auteur, quand bien même
il aurait pu se tromper sur « ce qu'il faut faire », a «
bien vu le sujet sur lequel il faut opérer » (242) -- autrement
dit, comme Wolmar il n'a pas pu se tromper dans ses jugements. Peut-être
ce regard a-t-il même quelque chose en commun avec l'« œil
avide et téméraire » de St Preux, ce regard fureteur
qui « s'insinue impunément [...] sous la chenille et la gaze
» (Julie 82), qui pénètre jusque dans la chambre
de Julie depuis les hauteurs de Meillerie.
« Épiez longtemps » (324) « épiez avec soin » (440): voilà l'impératif constamment répété dans l'Émile: le même genre d'espionnage que doivent pratiquer les traqueurs de Jean-Jacques: « Son hypocrisie a longtemps abusé les hommes, parce qu'ils s'en tenaient aux apparences et n'y regardaient pas de si près. Mais depuis qu'on s'est mis à l'épier [p. 119] avec plus de soin et à le mieux examiner on a bientôt découvert la forfanterie » (741).
On peut sans peine relever de nombreux échos comparables d'un texte à l'autre. « Il faut faire en sorte que, libre en apparence au milieu des hommes, il n'ait avec eux aucune société réelle, qu'il vive seul dans la foule » -- s'agit-il d'Émile, ou de Rousseau juge de Jean-Jacques? En fait c'est les Dialogues.(3) « Sans lui défendre de mal faire il suffit de l'en empêcher » -- Émile, ou Rousseau juge de Jean-Jacques? Cette fois c'est l'Émile (311). Qui l'eût cru ? Il est toujours question de prévenir, d'intervenir quand un jugement supérieur aura déterminé qu'il importe, pour des raisons inconnues du sujet, de court-circuiter sa propre liberté d'action et la responsabilité qui en découle. Emile: « [C]e dont il doit s'abstenir ne le lui défendez pas, empêchez-le de le faire sans explications, sans raisonnements » (320). Rousseau juge de Jean-Jacques: « Laisser commettre les crimes qu'on peut empêcher n'est pas seulement en être témoin, c'est en être complice » (723).
Émile est-il moins manipulé par les trucages pratiqués à son intention que Jean-Jacques par les pièges qu'on lui tend? Émile est dupe du canard aimanté (437) comme Jean-Jacques des faux amis à qui il confie ses dépôts les plus précieux. Dira-t-on que Jean-Jacques se sait observé mais fait semblant du contraire? Émile aussi. Qu'Émile au fond se sait libre? Deux siècles de controverses nous ont appris qu'il s'agit là d'une affaire de degré, peut-être même d'une différence qui n'en est pas une. Si Jean-Jacques se sent, se sait, se voit observé, d'ailleurs sans en être le moins du monde affecté (« sans s'embarrasser en aucune sorte des surveillants dont il se voit entouré », 722), pourquoi n'en serait-il pas de même d'Émile?
Il va de soi que cette ressemblance n'en comporte pas moins des différences significatives. Car si les mots sont souvent les mêmes, les nuances qui distinguent entre les deux contextes s'expriment dans les variations d'une terminologie globalement similaire. Ainsi, les verbe étudier est plus fréquent qu'épier dans l'Émile parce que étudier son élève implique un degré de sympathie sensiblement plus grand entre l'observant et l'observé; [p. 120] aussi n'y rencontre-t-on pas une seule fois le verbe guetter. Les ennemis de Jean-Jacques au contraire ne viennent pas l'étudier (ils n'ont rien à apprendre de lui), ils l'espionnent. Pourquoi, d'ailleurs, puisque sa vie est un livre ouvert, qu'il est incapable de rien dissimuler? Rousseau prend soin de souligner ce paradoxe, et ces différences d'intention:
Si l'administration publique elle-même eût été moins prévenue ou de bonne foi, la constante uniformité de sa vie égale et simple l'eût bientôt désabusée; elle aurait compris [...] que c'était bien perdre son argent, son temps et ses peines que d'espionner un homme qui vivait ainsi. Mais comme ce n'est pas la vérité qu'on cherche, qu'on ne veut que noircir la victime, et qu'au lieu d'étudier son caractère on ne veut que le diffamer, peu importe qu'il se conduise bien ou mal, et qu'il soit innocent ou coupable. Tout ce qui importe est d'être assez au fait de sa conduite pour avoir des points fixes sur lesquels on puisse appuyer le système d'impostures dont il est l'objet, sans s'exposer à être convaincus de mensonge, et voilà à quoi l'espionnage est uniquement destiné. (909)
En revanche, la connotation de contrôle imposé dans surveiller fait que ce verbe, pratiquement absent d'Émile, est fréquent au contraire dans les Dialogues. De même, diffamer et diffamation (36 occurrences dans les Dialogues) n'apparaissent dans l'Émile qu'une seule fois (640), et cela sans rapport aux personnages principaux. Quand le gouverneur guette, ce n'est évidemment ni pour diffamer, ni pour dénoncer, ni pour démasquer, alors que les ennemis de Jean-Jacques ne font que cela dans les Dialogues.
Toutefois est-il que, avec des objectifs aussi diamétralement opposés, le fond de l'opération reste le même dans les deux cas: un regard invisible cherche à surprendre non seulement les desseins mais l'instinct de son sujet, à anticiper ses inclinations, même celles que lui-même ignore encore. Autrement dit, la situation tant commentée et critiquée du gouverneur par rapport à Émile, situation idéalisée et manifestement peu aisée à réaliser concrètement, apparaît comme la condition de possibilité du complot décrit dans les Dialogues. Rousseau n'est en effet capable d'imaginer les méthodes totalitaires de la conspiration contre lui que parce qu'il a cru ou imaginé possible le rôle envahissant du gouverneur de l'Emile. C'était là un travail qui, Rousseau l'avait bien souligné, demande infiniment de détermination et de patience: « L'enfant doit être tout à la chose; mais vous devez être tout à l'enfant, l'observer, l'épier sans relâche et sans qu'il y paraisse, pressentir tous ses sentiments [p. 121] d'avance, et prévenir ceux qu'il ne doit pas avoir » (Émile 461). De même, les surveillants de Jean-Jacques se consacrent corps et âme à cette tâche qui fait d'eux l'écho malicieux et malveillant du gouverneur. On peut rappeler pertinemment que Rousseau s'était mis lui-même exprès dans ce rôle-là. Jean-Jacques guetteur, Jean-Jacques guetté; c'est le simple renversement d'une situation qui avait préalablement séduit sa propre imagination.
Cependant, en disant « simple » je mens, car rien n'est
jamais simple chez Rousseau. Ces mêmes expressions et leurs variantes
reflètent de profondes ambivalences attribuables à des besoins
opposés. On le voit bien en confrontant ce qu'on a dit de ces deux
ouvrages avec d'autres de ses écrits. Dans un État comme
dans une maison, où les habitants ne doivent rien avoir à
cacher, il est normal, il est même salutaire que tous surveillent:
« C'est ainsi que dans les beaux temps de Rome, les citoyens, surveillants
les uns des autres, s'accusaient publiquement par zèle pour la justice
».(4) Dans Julie, dans Du
contrat social, il importe beaucoup à la discipline tant domestique
que civique que les servants et les citoyens se sachent observés.
Chez Wolmar, qui « est intègre et sévère »,
les « ouvriers ont des surveillants qui les animent et les observent
» et Wolmar lui-même surveille beaucoup (443); cependant St
Preux dit ne pas approuver qu'on rende les valets « espions et surveillants
les uns des autres » (Julie 461). Si les conspirateurs des Dialogues
sont eux-mêmes « surveillants les uns des autres » c'est
à la manière d'une bande de voleurs, afin d'assurer leur
fidélité mutuelle; ils sont « entourés, surtout
à leur mort » pour obvier à toute faiblesse qui risquerait
de laisser transpirer la vérité (969).
On pourrait peut-être se demander après tout ce que donnerait
un texte qui aurait pour titre Émile juge de Jean-Jacques,
et où l'élève serait consciemment assujetti au même
genre d'univers kafkaesque que Jean-Jacques dans les Dialogues.
Autrement dit, ne pourrait-on pas lire la dénonciation de la déplorable
situation de Jean-Jacques comme une déconstruction implicite d'Émile?
Non certes que Rousseau soit capable, au point où il en est, d'un
quelconque repentir; ce que je suggère est plutôt de lire
en quelque sorte contre le grain, de mettre en relief quelque chose qu'il
ne veut pas voir. Quelle est la relation entre un [p. 122] élève
qui se trouve incapable de faire le moindre petit mouvement sans qu'un
adulte qui ne le quitte pas d'un pas en prenne note, et un adulte auprès
de qui un groupe sans visage reproduit à peu près la même
opération? Émile en prise avec un gouverneur qui veille toujours,
qui l'invite constamment à choisir selon son cœur et qui pourtant
a déjà anticipé jusqu'à ses moindres désirs,
tout prévu, pourvu à tout, cet Émile serait-il, lui
aussi, un peu paranoïaque? On ne peut le savoir, surtout parce que
le point de vue n'est pas le même, et c'est là justement l'intérêt,
à mon avis, de la question. Émile ne peut pas se dédoubler
comme le peut Rousseau/Jean-Jacques afin de nous donner la relation subjective
de ses expériences. Ou, autrement dit, le dédoublement Émile/Jean-Jacques,
où Émile est en quelque sorte celui que Jean-Jacques aurait
voulu être, est mis en examen par la confrontation avec un couple
analogue, Jean-Jacques/Rousseau. Émile a envoyé Jean-Jacques
au purgatoire: ce n'est qu'à ce prix qu'il a pu lui pardonner.
NOTES
1. Page 796. Voire aussi la Lettre à Christophe de Beaumont: « J'ai été environné d'espions, de malveuillants, et le monde est plein de gens qui me haïssent à cause du mal qu'ils m'ont fait » (IV, 963). Toute référence renvoie à l'édition Pléiade des Œuvres complètes.
2. Voir aussi : « ces mouches qu'on tient sans cesse à mes trousses » (Rêveries, p. 1090).
3. Pour la démonstration j'ai dû transposer la syntaxe de l'original: « Ils ont fait en sorte que, libre en apparence au milieu des hommes, il n'eût avec eux aucune société réelle, qu'il vécût seul dans la foule » (Dialogues, I, 706).